Peirce, la pensée et le réel
De Michel Olivier, éd. Hermann, coll. « philosophie »
2013- 20 €
Peirce et moi, je doute qu’un jour nous ayons été amis. Pourtant, j’ai lu les fabuleuses traductions de ces œuvres complètes par Claudine Tiercelin[1], j’ai également lu et relu ses différents travaux et cours qu’elle a donnés sur ce philosophe américain prestigieux. J’en conclus que je n’étais pas assez mature pour en apprécier la teneur et faire face à la complexité de cette pensée.
Et puis, c’est ainsi, la vie, le flux et reflux des choses et ce livre ce matin déposé à mon ancienne adresse. Au début je l’ai laissé en bas de ma pile de lectures. Et puis, il y a trois ou quatre jours tandis que j’oscille dans la compréhension de l’histoire intellectuelle de la Chine, je me suis dit que je devrais redonner une chance à ce Peirce.
Là, j’avoue que Michel Olivier m’a bluffé, non par la simplicité de l’écriture, mais juste pour avoir fait l’effort de resituer l’homme dans l’Histoire et dans son histoire. N’oublions pas le précepte de Hume « au milieu de toute philosophie il faut savoir rester humain ». Et voilà je découvre que Peirce était bien un homme, et un homme à femmes. Il a perdu ses positions académiques à cause d’un divorce et d’un remariage avec sa maîtresse. Cependant malgré son tumulte marital, il a continué à écrire et à penser le réel. Là, le monde de Peirce s’ouvre à moi.
Bizarrement je l’avais imaginé tout autre. Un philosophe de la fin du XIX° siècle, perdu dans des certitudes mathématiques, le coupant de la poésie du monde. Puis au fil de l’introduction je me glisse dans ce qu’il convient de désigner comme la base de son raisonnement : le « double rejet ». Michel Olivier écrit « rejet d’une part de toute quête de fondement de la certitude (…) et rejet, en même temps, de toute trace de scepticisme, de relativisme, de subjectivisme ». En fait, Peirce fait de la philosophie une science. A ce titre elle doit se soumettre à l’esprit scientifique, à la rigueur. Là naît le pragmatisme.
Voilà maintenant, il faut tirer le trait, la limite : le réel. Le réel ne fait qu’un avec l’esprit scientifique « considéré comme une totalité asymptotique ». Et là tout s’éclaire Peirce est en fait un véritable héritier de Kant, il fait une recherche a priori et normative sur le signe. Il cherche le concept de « signe ». Le réel nous est donné aux moyens de signes, eux-mêmes n’étant que des interprétations de nos propres schèmes. Bref, si nous suivons les lignes de Michel Olivier force est de constater avec lui que « l’esprit humain n’est qu’une instanciation du connaître en général, un interprétant en acte ».
La « pensée-signe » nous entraîne que la découverte du vrai est une fin ultime. Il n’y a là nulle tranquillité à en espérer, c’est une fin. Mais sommes-nous capables d’entendre la fin ? Sommes-nous seulement prêts à accepter qu’il n’y ait rien au-delà ? A Pierce de conclure pour nous, la finalité ultime de notre humanité c’est la participation individuelle à la manifestation de la raison. Il y a une circularité chez Peirce dont on ne peut sortir mais qui conduit au progrès des réalisations de la raison dans le concret.
[1] Cf. Claudine Tiercelin :
- La pensée-signe, études sur C.S. Peirce, éd. Jacqueline Chambon, 1993
- C.S. Peirce et le pragmatisme, éd. PUF, 1993